Overdose [Elinor & Aiden]

A peine une heure qu'elle avait ouvert les yeux et Elinor n'en pouvait déjà plus. Quand elle vit sa tête dans le miroir de la salle de bain, elle hésita sérieusement à aller bosser aujourd'hui. Ses yeux rougis, ses traits fatigués, tout trahissait la dure soirée qu'elle avait passé la veille. Elle se maudit intérieurement. Plus jamais elle ne casserait ses petites habitudes, plus jamais elle n'essaierait de noyer son chagrin dans l'alcool. Elle prit une douche glacée pour se réveiller et tenta de se rendre présentable. Ce qui lui prit pas mal de temps. Trop de temps. Sa mère venait de se lever. Super, il ne manquait plus que ça. Elinor soupira violemment. Elle ne pouvait pas se permettre que sa mère la voit comme ça. Elle ne pouvait pas lui faire ça, elle devait tout faire pour cacher ce qu'elle ressentait, elle était son seul soutien, la mère, c'était un peu elle désormais. Alors elle fila dans sa chambre, prit son sac et sortit de l'appartement quelques secondes plus tard. Elle n'avait pas mangé, en même temps, la veille elle s'était tellement gavée de crème glacée qu'elle n'était pas sûre de pouvoir encore avaler quelque chose. Le pire, c'était surtout qu'elle n'avait pas pris de quoi apaiser sa gueule de bois. La journée s'annonçait longue et pénible.

Arrivée à la bibliothèque, tous ses regrets s'envolèrent. Elle avait bien fait de venir travailler, ici au moins, elle pouvait se changer les idées. Et puis, la bibliothèque n'était pas le lieu le plus fréquenté de l'école, c'était même plutôt une planque où l'on venait se fourrer si l'on voulait un peu de solitude. Elinor commença sa journée par un peu de rangement, il fallait qu'elle se bouge pour ne pas s'évanouir sur place. Mais elle ne tint pas longtemps. Au bout d'une heure elle était déjà en train de fouiller les bureaux pour voir s'ils ne cachaient pas un quelconque remède. Sa quête fut vaine. Elle déglutit et ses ongles s'enfoncèrent dans ses paumes. Il était encore tôt, elle pouvait s'éclipser à l'infirmerie quelques minutes. Elle demanda la permission à sa responsable et deux minutes plus tard elle était assise sur une de ses chaises inconfortables que l'on ne trouve que dans les salles d'attentes.

Elle avait trouvé une paire de lunettes de soleil dans son sac et l'avait mise, il faisait bien trop lumineux dans cette pièce. Elinor resta ainsi immobile, à se tenir la tête d'une main, offrant un spectacle qui devait être pitoyable - ou risible - à tous ceux qui passaient par là. Mais elle s'en moquait, ce n'était pas dans ses habitudes, mais à cet instant précis, elle n'avait que faire de ce que les autres pouvaient penser. Enfin, elle espérait tout de même ne croiser personne qu'elle connaissait.

Dès la première période, je sus que la journée allait être difficile. Je travaillais sur le sortilège d’Engorgement avec une classe de troisième année et personne ne semblait suffisamment réveillé pour mener les travaux pratiques à bien. Pourtant, ils étaient censés l’avoir vu en cours d’Enchantements, et d’un commun accord avec le professeur, je devais me charger des usages de défense de ce sort. Afin que les élèves puissent réviser le lancer du sortilège d’Engorgement, ils avaient tous un objet inanimé varié à grossir avant de passer à de petits animaux, mais on était encore très loin d’en arriver là. Ils se contentaient de regarder mes notes au tableau d’un air vide et creux, comme si des Détraqueurs étaient passés dans le couloir et avaient aspiré l’âme de tous les élèves. Je tentai de les motiver, sans grande conviction, manquant moi-même de sommeil, mais choisis finalement un élève presque endormi pour venir faire la démonstration au tableau. J’attirai magiquement son objet, une vulgaire boîte, et le plaçai sur mon bureau, lui demandant de l’élargir légèrement.

« Amplificatum ! » dit l’élève d’une voix monocorde en agitant sa baguette agressivement. Au lieu de grossir, son objet explosa violemment, arrachant un cri suraigu chez les filles et une vague de panique chez les autres. Je réussis néanmoins à trouver un point positif à cet incident : au moins, ils s’étaient réveillés. Je regardai le pauvre élève d’un air de reproche, mais il se transforma bien vite en moue de compassion quand je vis que ses cheveux lui entourant le visage étaient partis en fumée. Puis, un filet rouge vint troubler ma vue et je dus m’asseoir avant de perdre l’équilibre. Devant l’agressivité du sortilège, la petite boîte en étain avait malheureusement projeté des éclats coupants partout dans la pièce, et un était venu me couper juste au-dessus de la tempe, assez profondément pour me donner des vertiges. Je dus interrompre mon cours pour me rendre à l’infirmerie avec l’élève à moitié brûlé.

« Le cours est suspendu, je dois emmener Filtcher à l’infirmerie. On se retrouve en fin de semaine, et n’oubliez pas votre parchemin sur les bénéfices de l’Engorgement et le Ratatinage d’un ennemi. Je les veux tous sur mon bureau à mon arrivée. »

Filtcher et moi attendîmes que tous les élèves se soient précipités dehors pour nous mettre en chemin. Il ne disait rien, visiblement trop honteux et probablement trop blessé pour parler. Après quelques minutes, nous entrions dans l’infirmerie, où il fut immédiatement pris en charge. On m’appliqua une compresse le temps de me prodiguer de meilleurs soins, et je dus m’asseoir dans l’espèce de sas entourés de rideaux sales qui servait de salle d’attente. Une jeune femme était déjà présente, je crus reconnaître Delorme, l’assistante bibliothécaire, mais je ne pouvais pas voir grand-chose à cause du sang qui avait coulé dans mes yeux et ses grandes lunettes noires qui cachaient une bonne partie de son visage.

« Bonjour… » lui dis-je poliment alors que je m’asseyais non loin d’elle.